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Centre de Recherche sur l'Enseignement des Mathématiques

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Une conception des mathématiques

Le texte ci-après reproduit la première section du rapport de la Commissiond’étude de l’Enseignement des Mathématiques et des Sciences. Il est pour le CREM un document de référence, car il exprime pour l’essentiel les convictions de ses membres sur le sujet.

La construction du sens dans les mathématiques

A travers leur diversité, les mathématiques sont parcourues de liens essentiels qui contribuent au sens de chacune de leurs parties. Elles ne sont pas une juxtaposition de concepts et de théorèmes plus ou moins autonomes.

Une définition n’aguère de sens par elle-même : elle répond aux besoins d’une théorie, on ne la comprend, et on ne comprend sa forme souvent très technique que quand on la voit fonctionner dans des démonstrations. Un calcul isolé est dépourvu de signification : si on calcule, c’est parce qu’on a besoin du résultat dans une démonstration ou une application. Pour comprendre une démonstration, il faut faire plus que vérifier ses chaînons logiques l’un après l’autre, il faut y discerner les idées directrices, celles par rapport auxquelles s’ordonnent ses détails techniques. Un théorème isolé est moins intéressant que la théorie à laquelle il appartient. Et enfin les théories, les structures mathématiques ne sont pas autonomes, elles fonctionnent les unes dans les autres.

Cette cohérence globale des mathématiques existe et est source de sens dès le niveau le plus élémentaire : il n’y a pas de cloisons étanches entre l’arithmétique, la géométrie, l’algèbre et l’analyse.

Apprendre à penser mathématiquement

Les mathématiques peuvent être considérées comme un vaste ensemble de connaissances organisées déductivement. Mais apprendre les mathématiques (ou des mathématiques) consiste moins à absorber ces connaissances qu’à améliorer sa capacité de penser mathématiquement, de résoudre des problèmes. Focaliser l’apprentissage sur l’acquisition des théories conduit à privilégier la pensée déductive par rapport à la pensée en recherche, celle que l’on qualifie parfois d’heuristique. Penser mathématiquement mobilise l’imagination, l’intuition, le flair, le sens esthétique, l’induction (les conjectures) et aussi, cela va de soi, la déduction, la logique.

L’activité mathématique est une alternance, une sorte de contrepoint de l’imagination et de la logique. Elle produit à terme dela théorie déductive, mais elle n’est pas une activité essentiellement déductive.

Les mathématiques dans la pensée globale

A l’opposé souvent de la pensée commune, les mathématiques recourent à des concepts idéalisés : c’est le prix qu’elles paient pour pouvoir se construire sans ambiguïté sur le plan du raisonnement déductif.Malgré cela, les mathématiques interviennent utilement dans la vie quotidienne et dans les sciences naturelles ou humaines chaque fois qu’une situation peut être modélisée, c’est-à-dire saisie sans trop d’infidélité sur le mode de la structuration logique. Ainsi envisagées, elles ne sont pas une forme de pensée autonome, mais plutôt un registre de la pensée envisagée globalement.

Elles ne sont pas d’application universelle et sont même fréquemment utilisées hors de propos. Il est vrai pourtant que la plupart des sciences tendent naturellement à se mathématiser.Mais il ne s’en suit pas qu’un modèle mathématique reproduise fidèlement la réalité : il ne le fait que dans des limites qu’il faut préciser (et dans ces limites, il arrive souvent qu’il soit irremplaçable).

La conscience critique du statut propre des mathématiques et de leur relation (toujours à évaluer) à la réalité font partie de la culture utile à tout citoyen.

Les mathématiques dans la culture humaniste

On entend souvent dire que les mathématiques sont inhumaines ou encore qu’elles sont l’humanisme d’aujourd’hui. Ces deux affirmations sont à rejeter. Il nous paraît aussi inapproprié de négliger les autres sciences, les arts, la littérature,l’histoire et la philosophie que d’ignorer le rôle joué par les mathématiques dans la pensée occidentale et l’évolution de la civilisation. Il faut apprendre aux adolescents d’aujourd’hui comment lestravaux, les affrontements et les croyances des hommesd’autrefois ont fait de nous ce que nous sommes, avec nos réussites et nos contradictions, et les rôles qu’ont joué parmi ces hommes Homère et Euclide, Shakespeare et Descartes, Mozart, Proust, Einstein, Hilbert et beaucoup d’autres.

Les mathématiques de la société industrielle

La civilisation technologique repose sur la conception et la conduite de machines de plus en plus complexes, capables, grâce à l’informatique, d’exécuter la plupart des routines. C’est pourquoi la part d’activité qui reste aux hommes relève soit de la pensée rationnelle qualifiée ou très qualifiée, soit des relations humaines ou de l’art, des sports, etc. Le partage social du travail dans la société de l’avenir est difficile à prévoir. Il est certain toutefois que la plupart des postes de travail dans l’industrie et les services exigeront de plus en plus de décisions réfléchies et de moins en moins d’exécutions routinières. Il est certain aussi que les besoins en personnel rompu aux mathématiques iront croissant.

Les mathématiques dont il s’agit sont bien celles d’aujourd’hui, dans toute leur extension. Comme celles du passé, elles ont trouvé lavoie d’une fécondation mutuelle entre leurs parties les plus “pures” et leurs parties les plus “appliquées”. Pour s’en convaincre, il suffit d’évoquer les liens qui unissent la recherche en mathématiques et les ordinateurs. Il n’y a donc pas lieu d’infléchir le courant mathématique vers plus de théorie pure ou plus d’applications, car ce serait une façon de le freiner globalement.

Les mathématiques du citoyen

S’il est vrai que les mathématiques sont un registre de la pensée, une façon appropriée de saisir certaines situations, alors chacun a droit à développer autant que possible, selon sa personnalité, sa capacité de penser et de s’exprimer mathématiquement. Or une fraction importante de la population recule devant les tâches mathématiques les plus élémentaires (et parfois en tirevanité) : l’analphabétisme mathématique doit être combattu.

Dans la mesure où, parailleurs et comme noté ci-dessus, les activités des citoyens relèveront toujours plus de la réflexion quedes automatismes, l’éducation mathématique doit viser la compréhension plus que les exécutions d’algorithmes. Elle doit entraîner les citoyens à réagir aux défis de la vie par des conduites intellectuelles constructives, critiques et précises.

Les mathématiques et la personnalité

L’activité de recherche sur des problèmes mathématiques, à quelque niveau qu’elle se situe, est une source de grande joie quand elle aboutit. Cette joie n’est pas gratuite : elle est toujours la récompense d’un effort. C’est pourquoi il est important de lancer aux élèves et aux étudiants, des défis à leur mesure, de vrais défis pour qu’ils doivent y répondre par assez de travail et d’imagination, pas trop importants toutefois pourqu’ils aient une chance raisonnable d’en venir àbout.

On ne saurait sans doute exagérer l’influence que peut avoir sur la confiance en soi et plus profondément sur la construction de la personnalité, le fait de se reconnaître capable de penser efficacement en mathématiques.

L’éducation mathématique forme un tout

Il est impossible de concevoir l’apprentissage des mathématiques comme une accumulation de connaissances dont chacune serait définitivement acquise du premier coup. On ne comprend jamais rien complètement à la première rencontre. Le sens d’un concept, d’un théorème ne s’approfondit que par l’usage, par la reconnaissance de leur rôle, de leurs tenants et aboutissants dans un ensemble plus vaste de connaissances.

C’est pourquoi l’éducation mathématique ne peut être pensée seulement par tranches horizontales (le maternel, leprimaire, le secondaire inférieur, le secondairesupérieur, etc.), non plus d’ailleurs que par tranchesverticales (la géométrie, l’algèbre, latrigonométrie, les probabilités, l’analyse), et non plus enfin indépendamment de ses liens avec les autres disciplines.

Elle doit être construite dans sa cohérence globale d’un bout à l’autre de la jeunesse, avec des passages et repassages aux points clés et chaque fois un approfondissement, une généralisation, une vue plus large. C’est ce qu’on appelle souvent l’enseignement “en spirale”.

L’écueil majeur : la perte du sens

Les mathématiques sont une forme de pensée riche de sens, mais qui s’appuie sur des enchaînements formels et des combinaisons de symboles qu’il est possible (et parfois souhaitable) de manipuler sans se soucier du sens. L’accident le plus fréquent dans l’apprentissage des mathématiques est la perte du sens et le repli sur la forme sans contenu : ne plus penser et se contenter d’exécuter des algorithmes selon l’unique procédé permis devient rapidement insoutenable.

Ce genre de dérapage affecte déjà les jeunes élèves quand ils additionnent deux nombres selon les règles, mais sont incapables de justifier ce qu’ils font. On le retrouve à toutes les étapes, jusqu’à l’étudiant qui dérive des fonctions sans idée claire de ce qu’est une dérivée.

Le problème majeur de l’enseignement des mathématiques est sans aucun doute celui du sens.